Comme des pièces. De bêtes et connes pièces de puzzle. Qui projetteraient chacune un halo d’ombre ou de lumière.
C’était tout ce sur quoi mon regard vague portait, depuis l’épaisse branche sur laquelle j’étais assise, peu confortablement adossée au tronc. C’en aurait presque fait mal. Mais à vrai dire, je m’en foutais. J’étais occupée à réfléchir à des choses plus importantes. Comme à une certaine nouvelle venue. À regarder des choses bien plus captivantes. Comme le jeu lumineux des rayons du soleil contre les larges feuilles qui m’en protégeaient, donnant à mon coin de calme un fraîcheur relative. À écouter quelque chose de plus apaisant. Que ce soit les morceaux soigneusement sélectionnés que mon casque diffusait, ou simplement le fracas infime des feuilles s’entrechoquant.
J’avais besoin de calme. L’arrivée d’Alyss m’avait retournée. C’était peut-être la première fois de ma vie que voir un regard haineux par ma cause se porter sur moi m’importait. Pire. Ça avait fait mal. J’essayais de comprendre pourquoi. J’essayais de me comprendre. Le lieu m’y aidait. Presque isolé des cris et des rires des autres élèves de l’Academy. Je recréais un calme artificiel, une quiétude avec quelque chose de mécanique. Un peu comme une recette, toujours la même. ‘’Mélanger des bruits de fond apaisants, un lieu éloigné des autres, une température supportable, et asseyez-vous du mieux que vous pouvez. Laissez-vous guider quelques heures par vos sens au repos, avant de vous plonger au bain-marie dans un bain chaud, puis laissez-vous égoutter aussi longtemps qu’il vous plaira’’. Ouais. Sauf que je préférais les douches froides. M’enfin.
Les relations humaines sont décidément bien trop compliquées. Heureusement qu’Eri avait été là. Je lui devais une fière chandelle. Vite annulée. Je lui en voulais quand même un peu pour m’avoir fait passer par-dessus bord. Fallait pas exagérer. Sauf que voilà. La formidable aptitude qu’elle avait de parler de tout et de rien, associée à ses sourires lumineux, avaient détendus l’ambiance, pourtant bien partie pour être plus que tendue. On m’aurait dit durant l’année scolaire que je finirais par apprécier cette fille, j’aurais gratifié mon interlocuteur d’un sourire en coin sarcastique. Plus maintenant.
J’étais presque bien, maintenant. Quasiment apaisée.
Tellement, que je finis par m’endormir. Shame on me.
Et réveillée, environ un quart d’heure plus tard.
Par un sourire narquois.
Celui d’Yùka.
À qui je m’apprêtais donc à parler.
Lorsque je remarquais qu’il manquait quelque chose. Un son. Des sons. Toute une musique.
Elle. Avait. Osé. Me. Prendre. Mon. CASQUE. Et ma vengeance serait terrible.
Je sortis complètement de mon endormissement, alors qu’elle dévalait le tronc, sautant à terre.
YÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙÙKAAAAAAAAA ! Espèce de sale… !Je ne finis pas ma phrase, la suivant, les branches s’obstinant à me griffer au passage. Les saloperies. Et elle, qui continuait de rire ! J’aurais pu la tuer, sur ce coup. PAS TOUCHE À LA MUSIQUE.
Elle avait pris de l’avance. Et non des moindres. Et bien sûr, il fallait que nous soyons dans la partie la plus touffue de la forêt du parc, si bien qu’elle échappait constamment à ma vue. Mais elle était repérable facilement : elle ne pouvait pas s’empêcher de rire. Un de ses grands traits de caractère. Toujours souriante, la Yùka. Elles et Eri se ressemblaient pas mal. Pas pour rien qu’elle s’entendaient si bien.
Et aujourd’hui, son rire la perdrait. Elle était sortie du couvert des arbres, pour débouler sur le chemin. Elle ne courrait plus bien longtemps. Je me jetais sur elle, la plaquant au sol, lui reprenant mon précieux casque. Et elle, était toujours morte de rire au sol.
…
Définitivement irrécupérable. Mais c’était comme ça que je l’appréciais, après tout. Nous étions complètement opposées, et pourtant, je la considérais presque comme une amie.
Je lui tendis la main pour l’aider à se relever. Avant de capter devant qui nous venions d’atterrir.
Une certaine Alyss Heaven.
Je ne savais pas pourquoi. Mais à ce moment, mes commissures, qui venaient de remonter d’un bon centimètre -presque un exploit- reprirent leur place habituelle, redonnant à mes lèvres leur pli amer. Oh, reprends-toi, Jill. Elle t’a rien fait. Et elle a pas besoin de ça, en ce moment, apparemment. Je fis un effort. Ne pas tirer la tronche. Ne pas avoir l’air glaciale. Voilà, un peu mieux. Un peu seulement. Malheureusement ? Oh, et puis merde, pourquoi je me souciais d’elle, après tout ? À ce que j’avais pu en juger, c’était une fille fière. Pas besoin de pitié mal placée.
Je finis d’aider Yù à se remettre sur pieds, la gratifiant d’une légère tape sur l’arrière de la tête, comme pour une gamine boudeuse. Ça ne manquerait pas de la faire enrager. Je le savais pertinemment. Et c’était tant mieux.
Tout ce que tu mérites, espèce de sale gosse ! Je replaçais mon casque autour de ma nuque. Gros blanc. Et Alyss nous regardait vraiment d’un drôle d’air, à présent. Quelque part, ça m’amusait. Tant qu’à faire, si Yù m’avait réveillée… Une balade en ville serait la bienvenue. Autant emmener Alyss. J’expliquais cela à ma petite blonde dans les grandes lignes. Je me décidais enfin. Un pas devant l’autre. Vers la brune, qui nous fixait toujours. Je lui adressais un demi-sourire, presque honnête. Comme si j'étais gentille. Et les Enfers sont pavés de bonnes intentions. *
Hey, Alyss ! Tu as déjà visité Death City ? Ce que ni l'une ni l'autre ne savaient, c'était la raison pour laquelle je voulais aller en ville. Sûrement pas pour faire du shopping ou "un petit tour". Non. Ça concernait directement ma vengeance imminente envers ma
chère camarade. Après tout, je ne comptais pas lui faire mal... Alors je n'avais qu'à réussir à l'emmener au parc. Mais hors de question de laisser passer ça.
- Spoiler:
Atta, j'te r'joins dans le clans des assoc qui sortent. Pour retard extrême. Et tentative de Bisounoursisme.
* Pas pu m'en empêcher. :BIGHAP: